Provins, un coup de canif dans le contrat

Viollet-le-Duc et Malraux ont reconnu en Provins un modèle de cité médiévale qu’il convenait de préserver. L’Unesco lui a accordé son label en 2001 : le patrimoine et sa mise en valeur exigent la continuité d’une bonne collaboration entre les élus et l’administration.

Si Viollet-le-Duc a pu hésiter entre Provins et Carcassonne comme choix d’un site à restaurer afin de pérenniser une architecture militaire exemplaire, c’est que la cité champenoise, qui devait sa richesse ancienne aux foires du Moyen-Âge, sur la route des Flandres à l’Italie, le méritait amplement. Un siècle plus tard, la belle endormie, restée à l’écart du développement économique, présentait encore assez d’unité et de monuments fameux pour bénéficier de l’attention du nouveau ministère des Affaires culturelles, créé en 1959 pour et par André Malraux qui, en mars 1961, signait le décret qui protège par une immense zone non aedificandi la vue lointaine que l’on a des remparts de Provins, en traversant le plateau briard.

L’acropole champenoise

Sous de vastes cieux animés, l’agriculture a contribué à préserver un paysage dégagé, au nord et à l’ouest de la cité. Du vallon ombreux et boisé qui la borde vers le nord, du côté de la porte de Jouy, et en s’éloignant en direction de La Ferté-Gaucher, on découvre même une vision quasiment miraculeuse, telle une gravure du XIXe siècle : sous cet angle qui ne révèle qu’abondance de bois et jardins, émergent du site urbain -certains parlent même d’acropole- deux monuments majeurs et hors d’échelle, la tour dite de César, massive, imposante, et la collégiale Saint-Quiriace, qui n’a rien à lui envier en majesté.

Un site médiéval remarquable, à cent kilomètres de Paris, voilà Provins. Après les comtes de Champagne qui donnèrent dès le début du XIe siècle sa qualité de capitale à la cité marchande, active et pieuse, après Philippe le Bel qui l’annexa au royaume de France au XIIe siècle et lui administra un long sommeil, Provins dut attendre la Ve République et l’un de ses grands serviteurs, Alain Peyrefitte, ministre du général de Gaulle, écrivain et académicien, maire de la ville de 1965 à 1992, pour qu’un inlassable travail de mise en valeur et de reconnaissance lui soit consacré.

Couronnée par l’inscription en 2001 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, la qualité historique et l’originalité du site urbain ne font de doute pour personne. Dans la ville haute, où s’est maintenu le tracé des rues du Moyen-Âge et où perdurent les jardins et espaces libres, on éprouve un rapport intime au bâti, accentué par la présence naturelle d’habitants de tous âges, et notamment des centaines de lycéens et de collégiens qui, chaque jour, arpentent ce dédale charmant pour rejoindre le bus qui les attend au-delà de la porte Saint-Jean. La ville est vivante, c’est là le souci du maire, M. Christian Jacob, élu en 2001, député UMP de Seine-et-Marne depuis 1995, et de son équipe. C’est aussi la préoccupation des services du ministère de la Culture, qui ont su conclure en temps utile avec la municipalité une sorte de pacte urbain, sous la forme de deux ZPPAUP, en 1990 pour la ville haute et en 2001 pour la ville basse.

Avec quarante-cinq monuments classés ou inscrits, plusieurs sites protégés, l’imbrication des servitudes et des protections diverses, cette ville de douze mille habitants voulait aussi promouvoir sa vitalité économique : elle joue un rôle important de pôle touristique, commercial et de services avec un grand hôpital ; elle se développe et prévoit de construire environ sept cents logements sur le plateau sud. L’instauration de deux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, paraissait évidente pour laisser respirer cet ensemble urbain: unifier les contraintes, harmoniser les règles en amont des décisions, faciliter la tâche de ceux, élus et services administratifs, qui doivent à la fois préserver les richesses monumentales et rendre la ville vivable.

Que s’est-il passé à Provins ? Si la collaboration avec le service départemental de l’architecture et du patrimoine et l’architecte des bâtiments de France semble s’être d’abord déroulée normalement, il est regrettable que des modifications qui semblent ne pas être justifiées par l’intérêt général mettent à mal, sinon l’édifice administratif de protection, du moins la nécessaire coopération harmonieuse et confiante entre les élus et les services chargés de la protection des sites et des monuments. Si les ZPPAUP ont été conçues pour établir des règles par contrat afin de rendre moins conflictuelles et plus fluides les relations par la suite, il s’agit bien d’un contrat, qui exige un suivi et une concertation.

Une entente cordiale mise à mal

En juin 2007, le conseil municipal a décidé unilatéralement de demander la révision de la ZPPAUP, sur trois points. En septembre 2008, diverses missions d’expertise diligentées par l’administration centrale sont venues appuyer un argumentaire très complet élaboré par le service départemental de l’architecture et du patrimoine. Mais un arbitrage ministériel a donné satisfaction à la municipalité, dans ce qui apparaît comme une décision d’ordre politique.

Quels sont les points de litige ? L’un concerne une discussion sur des espaces boisés et des voiries à créer pour accéder à un futur quartier de logements, situé hors des ZPPAUP. Ce point aurait pu faire l’objet d’une concertation. Deux autres modifications, qui peuvent sembler “mineures” comme les qualifie l’avis ministériel dans les instructions données au préfet en septembre 2008, ne le sont pas : ce sont des autorisations de construire dans les zones classées non aedificandi depuis 1961, soit plus de quarante ans. L’une concerne le vallon au pied des remparts, la zone dite des Courtils. L’autre vise un point très sensible : les abords immédiats de la porte Saint-Jean, qui vient de faire l’objet d’une restauration complète. C’est l’entrée solennelle pour les visiteurs qui sont accueillis un peu plus bas à l’office du tourisme, en cours d’agrandissement pour mieux les recevoir. Ces abords de la porte Saint-Jean sont occupés de part et d’autre de la voie d’accès par des pavillons des années 1950, d’un côté, par une petite entreprise de matériaux de construction, de l’autre : cette dernière possède aussi un hangar, juste en face. Au lieu de négocier avec cet artisan son transfert vers d’autres secteurs de la commune, le maire souhaite lui donner satisfaction : déplacer le hangar, rendre constructible la zone non aedificandi pour que l’entrepreneur puisse bâtir d’autres hangars, ainsi qu’un pavillon. On comprend mal comment une municipalité qui appuie l’avenir de sa commune notamment sur la mise en valeur patrimoniale et touristique contredise ainsi quarante années de statu quo. D’un côté, les édiles se réjouissent des crédits débloqués pour la restauration des monuments, l’église Saint-Ayoul par exemple ; de l’autre, ils dénoncent le caractère “léonin” de l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France et donnent un coup de canif dans le contrat que représente la ZPPAUP, procédure justement conçue pour mettre fin à l’arbitraire des architectes des bâtiments de France, prévenir les conflits et faciliter les relations entre les acteurs de la sauvegarde du patrimoine dans un esprit d’entente cordiale.

Michèle Champenois
Journaliste

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